La brume du 11 novembre, l’absence de public et le masque ont contribué à créer, pour les 18 participants, les conditions d’une émouvante communion avec les 39 Châloins morts pour la paix et notre liberté.

Etaient réunis autour du Monument aux morts : 13 membres du Conseil municipal, Patrick Hellegouarch porte-drapeau Croix de Guerre, ainsi que deux référents hameaux et deux membres de comités consultatifs.

 Xavier Guiomar a rappelé l’immense traumatisme laissé par la grande guerre et le deuil collectif qui s’est inscrit de manière indélébile dans notre monde. 1,4 million de Français ne sont pas revenus des tranchées, mais aussi 2 millions de soldats allemands. Au total, la grande saignée a fait près de 10 millions de morts.

Derrière ces statistiques glaçantes, n’oublions pas les êtres humains, les vies, dont il fallait un instant réveiller le souvenir : Léon Paul Charpentier, Paul Lucien Gauché, Pierre Emile Félix Hautefeuille… et les 36 autres Châloins dont le nom est inscrit sur le monument aux morts, un monument pour la paix.

Cinq personnes ont évoqué quelques instants de vie des cinq premiers Châloins mort au combat en donnant lecture d’un texte issu du travail de recherches de Michel Marceau, membre du Comité consultatif en charge des fêtes et cérémonies.

 

Le texte est reproduit ci-après :

 

1. Le premier Châloin tué par l’ennemi est Léon Paul CHARPENTIER, le 6 septembre 1914 à Barcy en Seine et Marne à 117 km de chez lui.

Il est né le 23 avril 1886 à Châlo Saint Mars au hameau des sablons ; son père Louis Joseph CHARPENTIER était journalier (ouvrier agricole payé à la journée) et sa mère Marie Alexandrine HARDOIN était sans profession. Il faisait partis du 289ème régiment d’infanterie. Suite à l’avancée foudroyante de l’armée allemande sur la Somme, l’armée française se retire sur la Marne. Le 289ème régiment a pour mission de maintenir cette avancée. Voici un extrait de l’historique du 289ème d’infanterie :  « Elle accomplit sa tâche de point en point et opéra avec perfection la difficile manœuvre de reculer en combattant sans cesse de Roye à Chantilly. C’est là qu’il se reforma et d’où il repartit pour reprendre sa part à la glorieuse contre-attaque de l’armée de Paris qui fut pour nous le signal de la marche en avant. Les 5 et 6 septembre 1914, sur les plateaux à l’est de Meaux, le 298ème RI se lançait à l’assaut sous les rafales de mitrailleuses et faisait reculer les allemands qui croyait tenir Paris ».

2. Le soldat suivant est Paul Lucien GAUCHÉ né le 2 octobre 1895 à Châlo Saint Mars.

Son père Paulin GAUCHÉ était boucher, sa mère se nommait Zélée Adélaïde SEVESTRE ; il était soldat de 2ème classe sur le front au début de la bataille de la Marne. Voici un extrait du journal de campagne de la 231ème régiment d’infanterie : Les troupes de la 110ème brigade reprennent leurs emplacements de la veille (devant Soissons), à 14 h30 le train de combat du régiment est cantonné, 5 morts et 16 blessés dont 3 ou 4 grièvement, le soir reprise des cantonnements à Villeneuve St Germain. Il faisait partie des poilus tombés ce 15 septembre 1914.

3. Le troisième Châloins est Pierre Emile Félix HAUTEFEUILLE né le 17 septembre 1888 à Châlo Saint Mars au hameau du Tronchet.

Sa mère Clémentine Aimée LEGRAND était l’épouse d’Achille Alphonse Désiré HAUTEFEUILLE, cultivateur. Il était soldat du 331ème régiment d’infanterie constitué à Orléans le 9 août 1914, dont la la mission était de protéger la frontière allemande, ce qu’ils firent « plein de bravoure et de confiance » avec un effectif de 38 officiers et 2 198 soldats. Son baptême du feu arrive le 22 aout 1914 à Villers-la-chèvre en Meurthe de Moselle. Suite à l’attaque allemande le repli général est ordonné : « marche en retraite ».  Il a disparu au combat le 24 septembre 1914 à Cheppy commune de la Meuse occupé par les allemands qui firent subir à la population d’horribles souffrances en séquestrant la population dans l’église lors des bombardements. Le village fut détruit entre le 10 et 25 septembre, il ne restait alors plus que 6 officiers et 591 soldats du 331ème régiment.

4. Le quatrième est PARGOIS René Léon Louis né à Châlo Saint Mars au hameau de la voie neuve le 2 février 1889.

Fils de Paulin jules PARGOIS, Charretier (ouvrier qui conduit une charrette), il est mort le 28 septembre 1914 suite à ses blessures à Vienne-la-ville département de la Marne. Selon les sources de l’historique du 23ème régiment colonial, les positions du régiment sont positionnés autour de  Ville sur Tourbe ou les deux camps maintiennent leurs positions, il est indiqué : «  jusqu’au 28 septembre, la position est organisée défensivement ,les 28 et 29 septembre, l’ennemi tente après de violents bombardements de nous chasser de nos positions ; toutes ses tentatives sont repoussées ». Une plaque en la mémoire de René PARGOIS est apposée au caveau familial au cimentière de Châlo Saint Mars.

5. Le cinquième, Jules Alphonse QUINTON fut le dernier « tué à l’ennemi » de cette première année de guerre ; il est né le 29 août 1880 à Châlo Saint Mars, hameau du creux chemin.

Son père Jules Stanislas QUINTON était journalier et sa mère s’appelait Sophie Alphonsine PERDRIGÉ. Extrait du journal de campagne : « le 11 décembre 1914 vers 10 heures, dix puissantes mines explosent  sous nos tranchées de premières lignes, un très violent tir d’artillerie se déclenche, suivi d’une attaque d’infanterie ,les tirailleurs allemands lancent des projectiles jusqu’alors inconnu sortent de boites à mitraille qui explosent en roulant sur le sol » ; une journée ordinaire de la bataille de l’Argone, plateau situé sur trois  départements (Ardenne ,Marne et Meuse) qui dura du 24 octobre au 20 janvier 1915. Le soldat Jules QUINTON en cette journée du 11 décembre rejoignit les 4 officiers tués ou disparus et 281 soldats tués ou disparus du 31ème régiment d’infanterie. 

 

Après l’appel des morts, le Maire a prononcé ce discours avant le dépôt de gerbe, la minute de silence et la Marseillaise :

« Merci à chacun d’être là dans ces conditions particulières, qui ne nous ont pas permis d’inviter tous les châloins, et en particulier les enfants, pour cette commémoration. Merci aussi à Michel Marceau pour son travail qui sort les noms de nos victimes de l’anonymat : chacun des 39 poilus de Châlo St Mars tombés au combat habitait l’un de nos hameaux, avait une famille, un métier spécifique, et chacun est mort dans une bataille elle aussi unique, quelque part dans la Marne, la Meuse ou la Seine et Marne pour ces 5 premières victimes, qui avaient entre 19 et 34 ans.

Pour nous aider à réaliser ce que cette période a été pour le village, rappelons qu’il était peuplé avant la Première Guerre d’environ 880 habitants, donc environ 440 hommes, dont 300 actifs. Avec 39 soldats qui ne rentrent pas au village c’est donc un homme sur 7 ou 8 en âge de travailler qui disparait.

Nous poursuivrons nos recherches pour chacun des 39 poilus et des 10 victimes du deuxième conflit mondial, afin de donner à chacun un visage : celui d’une vie unique dans une famille précise, dans l’un de nos hameaux, vie fauchée entre 1914 et 1920. Et je voudrais m’arrêter sur cette expression trop souvent répétée sans y penser : « Mort pour la France ». Même si elle fut utilisée avant la Première Guerre, on parlait plutôt avant de « tombés à l’ennemi » ou « au champ d’honneur ». C’est un décret de juillet 1915 qui institue cette formule, rendue obligatoire pour toutes les victimes directes du conflit.

Si ces 1,4 millions de soldats et ces 300 000 civils sont bien morts dans un conflit qui préserva notre liberté, ils sont souvent morts dans les absurdités de la guerre, souvent morts « pour rien » ont pu dire leurs copains : toutes ces situations inhumaines décrites dans Les croix de bois de Roland Dorgelès, Le Feu d’Henri Barbusse, ou en face, dans Im Westen nicht neues (A l’ouest, rien de nouveau) d’Erich Maria Remarque. Une cigarette allumée au mauvais moment, une chute, une sortie pour ramener un blessé, une balle perdue et c’était fini. On pense aussi à toutes ces grandes offensives aveugles qui ont livrés par milliers les poilus vêtus de rouge et bleu aux mitrailleuses allemandes.

A l’heure de l’Union européenne on pense forcément aussi aux autres victimes par millions : les 2 millions de soldats allemands et leurs 400 000 civils, les 1,8 millions de soldats russes et leurs 1,5 million de civils, 1,1 millions de soldats austro-hongrois et leurs 450 000 civils, les 900 000 soldats britanniques, et tous les autres. En particulier ceux qu’on appelait « les indigènes », près de 100 000 soldats issus de nos colonies, dont 35 000 Algériens, morts si loin de chez eux. Quelques soient leurs nationalités, la plupart étaient paysans. Leurs vies étaient assez proches dans leurs rythmes, leurs joies et leurs peines, mais ils se sont entretués dans un conflit entre nations. Les films La Grande Illusion (1937) ou plus récemment Joyeux Noël (2005) soulignent bien le caractère fratricide de ces combats entre personnes que rien ne séparait vraiment.

Enfin, en commémorant le 11 Novembre 1918, on ne peut oublier ce qui s‘est passé vingt ans plus tard, en septembre 1938 à Munich, quand les alliés cédaient les Sudètes aux IIIème Reich en espérant reculer la guerre. Si près d’ici, à Boissy la Rivière, Marc Sangnier avait pourtant œuvré pour le rapprochement des jeunesses françaises et allemandes en organisant le Congrès de Bierville au Camp de la Paix en 1926 puis, dans ce même but, la première Auberge de Jeunesse en 1929.

Le Traité de Versailles débouchait vingt ans après sur les prémices d’une guerre encore plus meurtrière, trahissant les promesses que la Première Guerre mondiale soit la « der des der » et que personne ne soit mort pour rien.

L’expression « Mort pour la France » est ainsi douloureuse, et nous devrions aussi penser en la prononçant à « Mort pour la Paix », « Mort sur les chemins tortueux de la Paix ».

 

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